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OBEIKA

Peintures - Polaroids
Crédit photographique Eric Bénier-Burckel
Corps

Paul Valéry pensait que le plus profond est la peau ; Patrick Obeika partage probablement cette perception avec Valéry.

Ses toiles suscitent le sentiment d’une matière qui garde la mémoire de tous les accidents, de toute éraflure, de toute blessure jusqu’à sembler la peau scarifiée d’un corps qui serait la substance même de la peinture. Son travail plastique ne relève pas de la représentation mais de l’incarnation. Fouillant la chair de la toile, pénétrant les couches de la matière, il se livre à un corps à corps avec le matériau où la chair sert de substance à l’œuvre et où l’œuvre se fait chair. Sa peinture est une pratique physique, épuisante, sensuelle où il inscrit, fouille, entaille, effectue des arrachements recouvre … où il caresse la matière, la terre. « Ce qui m’intéresse c’est l’épreuve du corps et par là son inscription irréfutable dans la vie » (Patrick Obeika). Peinture écorchée, les toiles de Patrick Obeika avoue une réalité d’humeurs et de sucs, d’odeurs, de larmes. On ne peut rester indifférent à cette confrontation, à cette mise à nu de l’artiste, à ces autoportraits. Chacune de ces toiles est en effet revendiquée par l’artiste comme un autoportrait. L’art a souvent cette force dérangeante, celle de nous faire voir pour la première fois l’autre.

L'Oeuvre en gestation ne se nourrit pas seulement de la chair de l’artiste mais aussi de la fermentation d’un compost de plâtre et pigment, d’une décomposition du monde, d’un pourrissement du temps.

 

Temps / mort / mémoire

La peinture de Patrick Obeika est chargée de « temps ». En présence de ses toiles, on a le sentiment de toucher du doigt une substance qui serait exhumée de la nuit des temps, un gisement sans fonds de mémoires enfouies. La série des « Naturalisations » s’inscrit aussi dans ce thème du temps au travers une réflexion sur la mémoire. Quand on demande à l’artiste ce qu’il veut signifier par cet intitulé, « Naturalisations », il répond simplement en évoquant le dictionnaire : « Préparer un animal mort ou une plante de manière à leur conserver l’aspect du vivant. Maintenir une apparence vivante à un organisme mort ». La plante, l’animal mort, renvoie dans ce cas à l’artiste lui-même. « La mort agit sur moi très directement. On n’existe que dans la mémoire de l’autre, des autres. Les naturalisations sont cela. La mémoire. La part de moi que portent les êtres qui me sont chers et qu’ils vont emporter avec eux. Chacune de ces morts va amoindrir ma vie, dépecer mon patrimoine. Des pans entiers de mon existence vont disparaître. Le désir de simulacre de la vie que sont ces "Naturalisations" vient de là, conserver ces morceaux épars de vie que sont les bouts de toiles.» (Patrick Obeika). Dans cette série, le corps, toujours présent, est en fragment, dépecé ; souvent enveloppé de cire, il évoque un rapport à la fois au martyre et à la relique.

Alors que notre société est généralement dans l’évitement par rapport à la mort, Patrick Obeika nous convie à une réflexion sur ce défi de l’existence. Pour lui, la mort n’a rien d’un accident qui survient du dehors, toujours mûrissante en l’homme, elle le pénètre d’un sens fondamental. Patrick Obeika partage cette obsession avec Picasso qui pensait chaque jour à la mort. D’après Dora Maar, Picasso disait très souvent « chaque jour est un jour de moins ». 

La mort et le corps ne s’opposent pas ; ils s’unissent dans la croix.

Croix

STAT CRUX DUM VOLVITUR ORBIS (La terre tourne, mais la croix demeure). La croix, parfois évidente, parfois dissimulée est toujours présente dans le travail de Patrick Obeika qui ne craint pas à la fois un certain mysticisme et de nous convier une réflexion sur Dieu. Que peut faire le genre humain dégagé de toute croyance quand l’accomplissement collectif, inspiré du marxisme a échoué ? Soit il s’accomplit égoïstement selon un individualisme exclusif et souverain, soit il se déplace vers le Surhumain par une transmutation des valeurs, c’est la voie tracée par Nietzsche, selon qui l’espèce humaine ne peut être laissée à elle-même. Cette voie assigne au genre humain émancipé une finalité souveraine, un au-delà de l’humain dans l’humain, un dépassement de sa propre condition, une transcendance venue de ses propres forces. 

La croix inlassablement répétée de Patrick Obeika est ce symbole non seulement d’une interrogation sur la transcendance mais également d’un désir de sursaut, de surgissement, de volonté de rupture existentielle. L’horizontale est le continuum dans le temps de nos actions réactives, non choisies ; la verticale est la rupture existentielle qui s’y produit où il faut comprendre exister dans son acception étymologique ek-sistere, émerger du magma des choses.

Signe essentiel entre tous, on peut aussi voir à travers cette croix la double exigence qui tenaille toute vie : tenir fermement le point nodal et en même temps tendre de tous côtés vers justement l’in-fini.

 

Être 

Amateur de philosophie, Patrick Obeika a toujours ressenti l’écart infranchissable qui existe entre les certitudes des systèmes philosophiques et la réalité de l’homme. La peinture est pour lui la meilleure manière de s’attaquer à l’existence humaine en vue de tirer au clair, sur le vif,  l’énigme que l’homme est à lui même. Un système philosophique signifie que plus rien n’est incertain ; pénétrer les fondements encore inexploré de la certitude que l’homme peut avoir de lui-même  nécessite au contraire d’y entrer à force, dans un état de semi-conscience. Le travail de Patrick Obeika est cette fouille des sédiments de la condition humaine à la recherche de ce qu’Etre signifie. Il matérialise dans ses toiles ses intuitions sur les possibles manières d’appréhender et d’habiter le monde.

 

Explorant les liens entre le physique (matière) et le métaphysique (croix), entre l’Instant (croix), la durée (répétition de la croix) et l’éternité (croix), entre le sensuel (matière) et le spirituel (croix), entre le caché, l’enfoui (multiples couches de la matière) et le mis à nu (arrachement, entaille) … le travail de Patrick Obeika comporte de nombreux niveaux d’appréhension, nécessitant une certaine disponibilité à leur non-évidence au delà de l’immédiate compréhension d’une pratique qui appelle presque autant au toucher qu’à la vue.

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